Sexe tabou ou mentalité tabou???

Publié le 24 Août 2014

Je discutais avec un proche d’une situation bien particuliere, quand j’entendis subitement: “Ou pa ka jenn fanm pou wap lage kow bay tout moun, pou ap ouvè kow bay tout jenn gason…” Ces propos ont été accueillis par un silence de glace. J’étais pensive…j’essayais d’imaginer la vie de la fille dont on parlait et que je connaissais à peine. J’avoue ne l’avoir croisée pas plus de deux fois, mais elle est bien l’amie de la meilleure amie d’une amie d’une amie comme on connait les gens si bien à Port-au-Prince. (Rire!!!) Et me voilà donc invitée non seulement à la juger mais à condamner son mode de vie, car c’est ce que mon interlocuteur attendait de moi, je devais l’appuyer, le soutenir, je devrais la crucifier car moi je suis différente…Surprise, je suis restée avec le bec cloué quoique la cruauté et la grossièreté de ses mots (que je vous épargne bien sur) me révoltaient. Malheureusement je suis de celles ou de ceux qui, face à certaines situations, ne trouvent pas les réponses instantannées (bien dommage) ,et me voilà donc revenue à la charge ce matin.

Dans mon pays, le sexe est tabou. J’imagine que cela doit être le cas ailleurs aussi dans certains pays du Sud, dans certains pays je dirais…en voie de développement. Je me limiterai à parler plutôt de mon pays. Oui, je disais qu’ici le sexe est tabou pourtant les allusions et références sexuelles pullulent au quoitidien, tout s’y rapporte. Rien qu’à écouter les meringues carnavalesques on s’en rendra compte. Moi ce qui me déchire dans tout ça, c’est que si le sexe est tabou, ce n’est que pour les femmes. Ah les femmes, les premières à être critiquées et culpabilisées, tout est de leur faute. Une femme se doit d’être prude, une bonne femme doit attendre qu’un homme vienne lui faire la cour, elle doit être capricieuse, et si toutefois elle défierait ses principes, si elle oserait être quelque peu entrepreneuse, elle est qualifiée de “limena”, vermine, penbèch, et de toute autre chose encore. Par contre, en plus d’être traitées fort souvent comme des esclaves au foyer, si elles ne sont pas capables de réaliser les prouesses sexuelles esperées, elles deviennent vite cocues et c’est normal. Là je vous peins un scénario bien optimiste pour les chanceuses…Dieu sait qu’il y a pire!!!

Je ne critique pas les valeurs qu’on nous a inculquées; par moment et fort souvent j’en suis même trop fière. Par contre je suis fatiguée des hyprocrisies, du machisme et de la permissivité de notre société. Moi je rêve d’une sociéte égalitaire et ceci dans tous les sens du terme. Pourquoi est–ce qu’un homme a le droit de collectionner plusieurs partenaires sans s’attirer les foudres de la société? Au contraire, il est le coq du village. Une femme en fait autant et elle est taxée de tous les noms. Le besoin, le désir et la passion ne seraient- ils pas communs aux deux sexes? Pourquoi est ce permis aux hommes et interdit aux femmes? Pourquoi une femme n’a-t-elle pas le droit d’avoir des relations sexuelles par pur plaisir sans être pour autant engagée dans une relation formelle, alors que les hommes le font chaque jour? Certains disent qu’il est bon que l’homme soit expériementé, c’est vrai et je l’approuve, si l’on exige un certain nombre d’années d’expériences sur le marché du travail, c’est bien dans un souci d’efficience. Quoiqu’aux âmes bien nées la valeur… “I leave it there”, comme aurait dit un ami. Parallèlement, votre femme vous la voulez avec très peu d’expérience. Si vous ne la voulez plus vierge ce n’est que par pure lâcheté, il est mieux qu’un autre fasse le sale boulot à votre place, car ça demande trop d’énergie, trop d’effort et les responsabilités que cela incombe seront trop lourdes pour vos épaules. Votre femme vous l’aimez donc prude c’est ce que la société exige, alors que vous préférez les putes c’est ce que votre bas ventre requiert; pourquoi ne pas épouser les putes alors? Quand finira-t-on avec toute cette hypocrisie? La culture d’un seul partenaire pourquoi ne peut pas t’on l’appliquer aux hommes? Ou seraient-ils moins sensibles aux MST, à l’hygiene corporelle et à tant d’autres choses encore?

Je me rappelle encore d’une discussion que j’ai eue avec l’un de mes meilleurs amis, où il me disait et je cite: “ le mâle a besoin de dominer, il faut qu’il puisse montrer aux autres qu’il est le seul à pouvoir conquérir sa proie, qu’elle est inaccessible aux autres, voilà pourquoi il ne supporterait jamais l’idée de savoir que sa femme ait appartenu aux autres. Il serait blessé dans son orgueil d’homme.” J’imagine que d’autres “mâles”, comme il aimait le dire, partagent aussi cette opinion, quant à moi, ce n’est pas vraiment mon affaire. Alors moi je me demande, et la femme dans tout ca? N’a-t-elle pas un orgueil de femme qui peut être blessé aussi? Veut-elle vraiment s’afficher avec quelqu’un dont les quartiers les plus intimes sont connus de toutes les filles et de toutes les putes de Port-au-Prince? N’a-t-elle pas envie d’être avec un homme qui lui appartient à elle et à elle seule? Pourtant c’est ce qu’ils lui réclament non?

Alors pour revenir au cas de la dame que je devais condamner sans même la connaitre, je me rends compte que je devais répondre à mon interlocuteur ET ALORS? N’a-t-elle pas le droit de faire ce qu’elle veut de son corps? Apres tout c’est son corps pas le mien, pas le tien, pas le leur! Le leur, ils en font ce qu’ils veulent, alors pourquoi ne pas t’en prendre à eux aussi? Pourquoi cela ne te gêne pas autant? Rien parce qu’ils sont des hommes alors qu’ils sont autant concernés? Pourquoi la blâmer elle? Pourquoi devrait-elle rester confinée dans un rôle que la société lui impose (au nom de quoi je ne sais pas) et dans lequel elle ne s’y plait pas? Peut-être qu’elle ne cherche que du plaisir, peut-être elle y cherche autre chose, peut etre c’est ce qui l’arrange. J’en ai aucune idée et cela ne me regarde pas. Mais peut-être qu’elle a été courageuse, peut-etre qu’elle est dotée d’un fort tempérament, d’une forte personalité, pour avoir osé afficher au grand jour ce que la société hypocrite impose de taire mais encourage fortement. Ah cette société qui exige que toute fille se marie à un certain âge et qu’elle fasse des enfants. Le chemin à suivre! Comme s’il s’agissait de la finalité de la vie.

Chère société haitienne est-ce que toutes les femmes sont faites pour être mariées? Vous n’avez pas encore adopté OFFICIELLEMENT la loi sur la polygamie, vous critiquez le célibat chez les femmes en âge de se marier (tous leurs malheurs sont dus à des nerfs…des désirs sexuels non assouvis selon vous), vous êtes hostiles à l’homosexualité, alors que nous savons tous qu’il y a bel et bien un surplus de femmes. Et bien entendu, une femme complice d’adultère, même à son insu est indigne, par contre vous acceptez bien le fait qu’un homme puisse voir librement ailleurs. Une société qui encourage le mariage précoce, qui est pourtant hostile au divorce. Et comment donc ne pas divorcer quand les deux partenaires n’ont pas eu droit dès le départ aux mêmes opportunités? L’homme a toujours su bénéficier d’un plus large éventail de choix. Pendant que lui butine de fleur en fleur, elle attend sagement à ce qu’il se decide à jeter son dévolu sur elle, avant de se livrer à lui pour toujours car ainsi le veut notre société. Tant pis pour elle s’il n’arrive pas à la satisfaire, elle n’a pas le droit de se plaindre car la société ne le lui permet pas.

Et celles qui font autrement, ou celles comme moi qui refusent de suivre ce pattern n’attirent que la pitié des autres car disent-ils “se on bon timoun kap gaspille”. Et c’est exactement ça que je qualifie de mentalité tabou car il faudrait avoir honte de partager de telles réflexions en public. Le sexe lui, je le vois, je le sens partout. Partout il est présent, sur la scène politique, à la télé, dans les journaux, sur les reseaux sociaux, et n’est plus tabou selon moi pour les haitiens sauf quand les femmes s’y mettent…Moi je n’ai pas honte de parler de sexe, tout comme je n’éprouve aucune honte à parler de culture, de politique, de la faim, de la soif, des autres besoins du corps et de l’esprit. Par contre je mourrais de honte si j’osais qualifier de gaspillage une jeune fille célibataire qui défie les pressions sociales pour mener sa vie comme bon lui semble. Là je m’attaquerais à sa liberté d’agir et je ne suis ni juge, ni Dieu pour lui imposer ma vision quoiqu’elle puisse être differente de la sienne. Fais ce qui te plait, ne me nuis pas, ne nuis pas aux autres. Nous avons mieux beaucoup mieux à faire que de nous occuper de la vie des autres et de plus, qui oserait jeter la première pierre?

C.J

9 avril 2014